Sébastien Castella en 6 dates 31 janvier 1983 Naît à Béziers. 1997 S'installe à Gines, près de Séville. 1999 Novillero. 2000 Prend l'alternative à Madrid 2004 Confirme l'alternative. Septembre 2006 La Fédération taurine espagnole le désigne meilleur matador de l'année.
Sébastien Castella, 24 ans. Premier Français à avoir été sacré meilleur matador de l'année par les Espagnols, ce sobre téméraire revient aujourd'hui aux arènes d'Arles.
«D ouze minutes.» Quoique enrobés dans le velours de son accent méridional, celui de Béziers, les deux mots claquent dans l'air. C'était en décembre, dans les arènes de Cali, en Colombie. Sébastien Castella est à terre. «Avec ses 500 kilos, le toro me cloue entre lui et le sol. Je me relève, je vacille, j'ai des vertiges. Un moment, je ne peux plus respirer.» La plupart des matadors seraient allés droit à l'infirmerie. Pas lui. Lui mènera la faena jusqu'au terme. Entre l'accident et l'estocade s'écouleront les douze minutes. «Cela m'a paru un siècle.» Trois côtes cassées, la plèvre déchirée, un poumon transpercé. C'est la quinzième cornada («coup de corne») subie par Sébastien Castella, la plus terrible de sa courte carrière. Et Castella de reprendre : «Il me fallait continuer. C'est dans mon caractère, je ne sais pas faire autrement.» Depuis Cali, trois mois ont passé. Le jeune Biterrois a des tiges de fer dans le thorax. «Douloureusement», il a repris l'entraînement dans les élevages autour de Gines, là où il réside, à deux pas de Séville. Dans ce grand hôtel madrilène, où il reçoit, il ne pense qu'à une chose : sa double «réapparition», ce 6 avril, en habit de lumières, dans les arènes d'Arles.
Sébastien Castella, c'est l'irruption d'un Français au firmament de la tauromachie. En septembre 2006, il est sacré meilleur matador de l'année par la fédération taurine espagnole. Depuis, toutes les places se l'arrachent. Le mundillo (le «monde taurin») en a fait sa coqueluche. «J'ai rarement vu un torero armé d'autant de courage et d'intrépidité», dit Simon Casas, référence du milieu et directeur des arènes de Nîmes. A raison de 100 000 euros par corrida, la cote de Castella n'a plus rien à envier à celle des grandes figures, d'Enrique Ponce à José Tomás. Les spécialistes s'extasient devant le parcours météorite de ce torero valeureux et précoce (il a 24 ans) qui a explosé en 2005. L'étonnant, c'est qu'il semble comme étranger à ce concert de louanges. Car, depuis qu'il a pris l'alternative à Madrid, il y a sept ans, le torero de Béziers n'a qu'une idée en tête. Non seulement il veut devenir le numéro 1, mais il entend aussi «marquer une époque» et «laisser une trace inoubliable». A la manière de Manolete, Antonio Ordóñez ou Paco Ojeda, les légendes du genre. Pas moins. On ne pourra l'accuser de fausse modestie. Mais, bizarrement, difficile aussi de voir en lui de l'arrogance. Sébastien Castella n'en a ni le ton ni le regard. Son discours tâtonne souvent, cherche le mot juste.
Le personnage est énigmatique. Ce qui frappe au premier abord, c'est une timidité manifeste d'adolescent attardé, une sincérité qu'accompagne une voix fluette et haut perchée, une minceur élégante tendue comme un arc. Avec ses chaussures italiennes, ses lunettes de soleil design, son costume couleur sable taillé sur mesure, Castella ne cache rien de son goût pour les marques et la belle sape. Ni pour les voitures de luxe. Le sourire est étincelant de blancheur, l'oeil est clair et séducteur, l'allure est celle d'un Adonis qui en jette. «Sebastián» est l'un des rares toreros à préférer la ville à la campagne. Et pourtant, ceux qui le connaissent le décrivent comme un être introverti et secret. Lorsqu'il ne sourit pas, son visage légèrement tailladé est inexpressif et impénétrable. Un sphinx, avec la parure d'un éphèbe. Une façon, certainement, de préserver son impératif de grandeur de la contamination extérieure. «Depuis tout jeune, je n'ai pensé qu'à devenir una figura. Ces grands toreros, je les voyais comme des dieux.» Dans son enfance, il raffole déjà des capeas avec les vaches de Camargue, et manie la muleta avec brio à l'école taurine de Béziers, où ce fils d'éleveurs de toros et de chevaux de corrida s'entraîne seul sans voir les heures défiler.
Le toreo lui a volé son adolescence. A l'âge de 14 ans, le Biterrois part s'installer à Séville pour y vivre sa passion. Il réside depuis sur les terres de son maestro, José Antonio Campuzano. «Cela a été un peu dur de quitter mes racines et ma famille si jeune, mais aller vivre là-bas était une condition pour pouvoir ensuite triompher», dit-il avec une sorte de distance froide. Le Français a appris la langue avec l'accent andalou, et a fait sa percée dans un monde jalousement dominé par les Espagnols. Il s'est bien adapté, même s'il vouvoie encore avec la même constance que ses acolytes tutoient d'emblée. Très fleur bleue, amateur de mélos hexagonaux et des chansons de Cloclo et de Michel Sardou, ce croyant a su pénétrer l'hermétique culture sévillane en devenant pénitent d'une confrérie (celle de l'Estrella, pour la Semaine sainte), dévot de la Vierge locale de la Macarena, et supporteur du FC Séville l'un des deux clubs de foot de la capitale andalouse. Là-bas, «Sebastián» a préféré comme nom de scène celui de son père, Castella, d'origine espagnole, à celui de sa mère, Turzack, d'extraction polonaise, peu seyant sur une affiche de corrida.
Il dit avoir pour l'instant tout sacrifié au sacerdoce tauromachique. Dans ce pays où les toreros font chavirer les coeurs et dont les romances avec des actrices ou des pop stars alimentent les chroniques people, le matador du Languedoc n'a pas de petite amie. «Pour l'instant, je n'ai pas le temps pour ces choses-là.» Ses amitiés sont rares. La presse espagnole l'a d'ailleurs surnommé le «torero de l'intérieur». «Même si je me suis ouvert ces derniers temps, je suis un type bizarre, très solitaire. Lorsque commence la saison, je me donne à 100 %, je ne pense à rien d'autre qu'à triompher. C'est ce qui me fait lever chaque matin. C'est ce qui me pousse chaque fois à risquer ma vie dans des arènes.» Et la peur de la mort ? «Bah...» Et la douleur, en cas de cornada ? «Mon maestro dit que je suis insensible à la douleur. En réalité, mon corps me fait mal, mais j'essaie de ne rien laisser paraître.» Et, depuis cinq ans, ce corps doit suivre un rythme infernal. Une centaine de corridas l'an (les trois quarts en Europe, le reste en Amérique latine), le coude à coude avec les meilleurs, les exigences médiatiques. Et des triomphes partout, de Bilbao à Quito, de Mexico à Nîmes. Même si, à ses yeux, rien ne vaut un sacre dans les arènes madrilènes de Las Ventas, face au «public le plus exigeant et aussi le plus juste».
Ce rythme, il n'en veut plus. Il va donc diminuer le nombre de ses apparitions. «On ne peut pas donner le meilleur de soi-même cent fois par an. C'est impossible. Or, par respect pour le toro, qui doit lutter jusqu'au bout, et pour le public, qui a payé sa place, c'est une exigence que je me fixe.» Tel est le credo de ce jeune matador qui parle de «repousser sans cesse les limites de l'héroïsme». Car, pour Castella, il y a deux voies. Celle des toreros techniciens et esthètes, la majorité. Et l'autre, la sienne, une «minorité», qui choisit de réduire au minimum la distance avec le toro, et donc d'accentuer le risque mortel, à la manière du prodige José Tomás, son modèle contemporain. «Mon chemin à moi, c'est de laisser un peu de côté la technique et de privilégier la pureté dans le mano a mano, l'affrontement direct avec l'animal. Face au toro, je ne veux pas faire semblant. Ce que je cherche, c'est de parvenir à ces moments rarissimes où l'art et le fait de risquer sa peau ne font qu'un. Quand un aficionado vit cela dans des arènes, il ne l'oublie jamais. Pour moi, laisser ce souvenir impérissable compte plus que de couper une ou deux oreilles.» Sébastien Castella dit ne pas avoir d'autres limites que celles que lui fixe le toro
Par François MUSSEAU
QUOTIDIEN LIBERATION : vendredi 6 avril 2007