dimanche 19 novembre 2006

JOEY STARR




C’est l’histoire d’un homme, danseur, chanteur, passionné de Hip Hop depuis le départ, pionnier de son art auprès d’un public toujours plus nombreux, moitié orageuse d’un groupe mythique. C’est aussi l’histoire d’une personnalité controversée, dérangeante pour beaucoup. Pas le genre de personne que les parents montrent comme un modèle à leurs enfants, pas l’image d’Epinal que les Pères la Morale aiment à donner en exemple. Et pourtant, c’est aussi l’histoire de l’un des artistes français les plus marquants des 90’s, d’un homme à part, et qui s’en porte bien. L’histoire de Joey Starr, rappeur en son Etat, dont l’album terriblement attendu (au tournant…) a enfin trouvé une place de choix dans les bacs. Gare au Jaguarr.

Ni franchement hip hop, ni en dehors, cet album de Joey Starr reflète en tout point le personnage. Mixité des influences ragga, hip hop, mais aussi biguine, ou références (voire révérences) à la chanson française, la richesse de cet opus réside d’abord dans ses racines, souvent profondes et auxquelles Joey attache une importance certaine. Réalisé par Dadoo (de KDD) dans son ensemble, ce Gare au Jaguarr représente donc un travail d’équipe du BOSS autour du projet de son chef de file. Cette mobilisation des troupes apparaît avec l’omniprésence aux manettes de Dadoo (qui sollicite également son acolyte du Kartel Double Détente, Diesel), mais aussi les prestations au micro de Fat Cap (sur le plutôt réussi « Soldats »), ou du chanteur D.Dy qui pose sa voix soyeuse sur le bon « Chaque Seconde ».

Et puis, puisqu’il s’agit quand même de la question centrale de cet opus, qu’en est-il de Joey Starr ? Décrié après son escapade « Gaz-L » (qui ne figure pas sur la tracklist), enterré par des détracteurs bien trop pressés de l’oublier, et cru perdu dans les méandres de l’indépendance, l’ancien NTM (il fallait bien le mentionner à un moment ou à un autre…) remporte incontestablement son pari, à plusieurs égards. D’abord au micro, où le Jaguar se révèle fidèle à lui-même : grinçant, sans concession, rauque, provocateur mais aussi (et trop s’attendaient sans doute à ne pas retrouver cette facette) parfois plus réfléchi dans son discours, plus responsable qu’on a trop souvent voulu le dire. Introspectif et sincère sur le terrible « Méteque » (qui emprunte la voix de Georges Moustaki pour un bel hommage), Joey Starr n’en demeure pas moins un vrai « Bad Boy » lorsqu’il fustige son ancien comparse, avant de régler ses comptes avec Gab’1 et Naja, ou quand il conte la fable « Gare au Jaguarr ». Osé et réussi, le sequel de « Pose ton gun » nous entraîne dans une ambiance ragga/dancehall aussi endiablée qu’explosive, tout comme le bon « The Jam ». Seule ombre au tableau de ce versant ragga (que Joey Starr nous devait de représenter tant on sait quel plaisir est assorti à cette musique chez lui), « Hot Hot (hâte-toi) » s’avère quelque peu difficile d’écoute, contrairement au délire (c’est bien le mot) « Carnival ».

Plongé dans la cave enfumée du BOSS, l’auditeur ressortira sans doute enivré de cet opus. Mêlant les odeurs de chanvre, de soufre, les tournées de rhum et les tremblements d’enceintes sous les basses épaisses du ragga et du hip hop, Gare au Jaguarr est une reproduction sonore de l’image que nous a toujours renvoyé Joey Starr. Marqué par ses propres goûts musicaux plutôt que par ceux imposés par la tendance (bien que ce mot soit des plus galvaudés), et animé par un Joey qui nous fait partager ses états successifs (souvent des états seconds, il faut l’admettre), ce premier album en solitaire ne constitue pas une suite après son histoire de groupe, mais bel et bien une œuvre personnelle, plus mâture qu’il n’y paraît, et complètement décomplexée. Joey n’est pas celui que vous attendiez, il est pire ou il est mieux, mais vraisemblablement, il s’en fout. A l’heure où tous les albums français se ressemblent rigoureusement pour mieux s’embourber dans les clichés qu’ils subissent et alimentent, un old timer vient démontrer que la musique est une affaire personnelle, et qu’elle n’obéit qu’à l’inspiration. C’est tout à l’honneur de cet artiste dont nous ne devrions être ni les juges, ni les avocats. Seul l’artiste restera, et l’artiste continue de nous surprendre.
-Raging Bull-
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